Historique de la collection
Un jeune musée d’art ancien
La collection Campana et son regroupement
En 1945, dans le cadre du vaste mouvement de réorganisation des musées, l'Inspecteur Jean Vergnet-Ruiz entreprit l'inventaire et le rassemblement de la collection Campana. Le projet de très grande ampleur consistait à remplacer les tableaux Campana des musées de province par des dépôts du Louvre, venant compléter tel ou tel aspect de leurs collections (Ingres à Toulouse, Courbet à Besançon, etc. ). Cela représentait 300 tableaux.
Le regroupement fut entrepris dès 1953, et surtout à l'occasion de l'exposition qui se tint à l'Orangerie en 1956, De Giotto à Bellini, exposition qui montra les principales œuvres italiennes des musées de province (près de la moitié provenant de la collection Campana).
Le choix d'Avignon
Son passé de capitale de la chrétienté au XIVe et de foyer pictural de premier plan, incita G. de Loye, conservateur du musée Calvet, à proposer le Petit Palais d'Avignon pour regrouper la collection Campana.
C'est ainsi que le Louvre déposa à Avignon 350 tableaux italiens, de la collection Campana majoritairement mais aussi d'œuvres de premier plan entrées au Louvre sous l'Empire. Le musée de Cluny déposa également l'ensemble des primitifs italiens qui n'entraient pas dans son programme de présentation.
Avant leur envoi à Avignon, ces œuvres firent l'objet d'études scientifiques et de restaurations au Service de restauration des musées nationaux, et là encore l'entreprise fut d'une ampleur exceptionnelle.
Les partis-pris muséographiques
La présentation de la collection fut pensée par Michel Laclotte, alors Conservateur au département des peintures du musée du Louvre, selon un parcours chronologique scandé par un découpage en écoles régionales. Il fut décidé que les cadres néo-gothiques seraient supprimés au profit d'encadrements métalliques, sauf s'ils témoignaient avec pertinence des cadres gothiques eux-mêmes.
Le projet muséographique fut confié à l'architecte-muséographe André Hermant qui sut s'inspirer des meilleurs exemples italiens dans ce domaine (notamment ceux de Carlo Scarpa).
Le marquis Campana, collectionneur insatiable
Giampietro Campana
Campana était né en 1808 dans une famille de la grande bourgeoisie romaine, aisée et cultivée. Déjà son grand-père avait effectué des fouilles à Ostie, Castelnuovo et Rome et réuni une collection d'antiques. Son père, quant à lui, avait constitué un important Cabinet de médailles. D'un point de vue professionnel, Giampietro reprit également la tradition familiale, entrant comme coadjuteur de l'inspecteur au mont-de-piété dont il devint le directeur à Rome en 1833.
Il se révéla entreprenant, n'hésitant pas à introduire des innovations dans cette vieille entreprise indissociable de la constitution de sa collection. Il obtint du gouvernement pontifical la possibilité d'acquérir des fonds en augmentant la somme maximale des prêts consentis. La caisse des dépôts ayant été annexée au mont-de-piété, il lui fit jouer le rôle de banque offrant un intérêt annuel sur les sommes déposées. Le maximum des prêts consentis devint illimité et le mont-de-piété s'enrichit considérablement.
Parallèlement, Campana développa une intense activité de collectionneur. Dès 1831, il entreprit des fouilles archéologiques à Rome, puis jusqu'en 1835 à Ostie. Il était membre de diverses commissions et sociétés archéologiques, et acquit rapidement une notoriété scientifique. Outre ses fouilles à Rome, Cerveteri, Veies, il acheta en grande quantité des objets antiques passés en vente. La visite de sa collection par le nouveau pape Pie IX en 1846 dans la ville Campana (près de Saint-Jean de Latran) consacra la réputation de sa collection.
Progressivement, Campana forma le projet de créer un musée universel. A ces collections antiques, vinrent s'ajouter des sculptures, des majoliques de la Renaissance et des tableaux.
La constitution de la collection de peintures
Il existe malheureusement très peu de documents concernant la formation de cette collection, en dehors des archives du procès Campana et de la presse contemporaine. Il semble que la collection de peintures n'ait été entreprise qu'à partir du milieu du XIXe siècle. On peut penser que le premier noyau en fut constitué par les tableaux acquis à la vente du cardinal Fesch à Rome en 1845 (où figurait notamment l'un des tableaux les plus importants du musée du Petit Palais, La Sainte Conversation de Vittore Carpaccio). Malheureusement, même le catalogue de la vente de la collection Campana en 1858 ne donne quasiment pas d'indication quant aux provenances de ces œuvres. L'absence d'inventaire et de registre demeure difficile à expliquer.
Néanmoins les minutes de son procès de 1857 donnent les noms des correspondants qu'il chargeait de traiter pour lui dans toute l'Italie et même à l'étranger, ainsi que des marchands de Rome, Florence et Naples avec lesquels il travaillait.
Il effectuait ses achats dans deux zones distinctes : Florence, en raison de l'importance de cette ville dans le marché d'art naissant des primitifs et la région Latium-Ombrie-Marches-Romagne-Emilie, constituant les Etats pontificaux auxquels ses correspondants avaient un accès privilégié. La grande variété des artistes représentés donne tout son prix à cet ensemble. On devine que Campana a voulu rassembler une collection aussi complète que possible, mêlant les chefs-d'œuvre aux productions plus courantes d'ateliers secondaires. Il s'agissait d'un collectionneur du type accumulateur (comme le cardinal Fesch) qui a réussi à réunir 400 « Primitifs » : on trouve peu d'ensembles aussi importants réunis par un seul homme avant le milieu du XIXe siècle.
Ces collections de peintures étaient rassemblées dans des magasins de la via Margutta et de sa maison du Corso. Il ne semble pas qu'il ait fait faire des restaurations de ses tableaux. De nombreux cadres néo-gothiques furent probablement réalisés pour un de ses marchands romains.
Le procès et la vente de sa collection
Une faillite et un procès retentissants
Campana avait obtenu du gouvernement pontifical en 1849 l'autorisation de faire des prêts sur les objets d'art. L'académie de Saint Luc était alors chargée d'estimer la valeur du gage (pour les peintures), le prêt étant consenti pour un tiers de cette valeur (jusqu'à mille écus). Cependant, les œuvres ainsi gagées ne parvenant pas à se vendre, cette autorisation fut supprimée. Campana ne tint pas compte de cette interdiction, continua les prêts sur tableaux, notamment avec ses marchands et mit, en outre, en gage 218 tableaux lui appartenant sous des noms fictifs. Conscient du danger, il entreprit de vendre une partie de son « musée » à l'étranger. L'administration pontificale le pressait elle-aussi de vendre, fermant les yeux sur ses pratiques délictueuses. Mais tout en faisant ses démarches, par l'intermédiaire de sa femme, l'anglaise Emily Rowles, il continuait ses achats avec les finances du mont-de-piété.
Le 28 novembre 1857, ce dernier fut saisi et Campana arrêté. Son procès dura jusqu'au 5 juillet 1858, se concluant par sa condamnation à 20 ans de galères et une dette de 900 000 scudi. L'arrestation d'une telle personnalité émut l'opinion publique et ses défenseurs s'efforcèrent de faire valoir que la valeur de sa collection était bien supérieure. Le 28 avril 1859, il céda au gouvernement pontifical sa collection, conservant seulement la fabrique de marbres et les meubles.
L'achat des collections par la France
L'épouse de Campana était la fille de Mme Crawford qui avait aidé Napoléon III au cours de son évasion du Fort de Ham et lui avait versé des fonds importants pour la préparation du coup d'Etat de 1852. C'est elle qui sollicita l'intervention de Napoléon III auprès du pape pour éviter les galères à son gendre dont la peine fut commuée en bannissement à perpétuité. C'est elle probablement qui lui proposa d'acheter la collection, officiellement suggérée par le directeur de l'Académie de France à Rome (Victor Schnetz).
Un catalogue de la collection fut publié à cette fin en 1858. Il comportait 12 catégories dont les peintures de l'époque byzantine à Raphaël (434 pièces) et les peintures italiennes de 1500 à 1700 (207 pièces).
Dès la fin de 1860, l'Angleterre acheta pour le nouveau musée de Kensington une partie de la collection de sculptures de la Renaissance formée par Ottavio Gigli (correspondant de Campana à Florence) et quelques majoliques Campana. L'année suivante, la Russie acheta 467 pièces de vases antiques, de statues et de bijoux. Et enfin, Napoléon III, décidait l'achat des collections restantes dans leur ensemble, à savoir 11 835 objets pour un montant de 4 800 000 francs (812 000 écus romains).
Léon Renier et le peintre Sébastien Cornu furent chargés de cet achat.
La création d’un éphémère musée Napoléon III
Dès l'achat de la collection, il fut annoncé que celle-ci était destinée à combler les lacunes du musée du Louvre. Mais à l'arrivée à Paris, la collection fut installée au Palais de l'Industrie car aucun local n'était disponible au Louvre. C'est là que fut créé le musée Napoléon III, inauguré le 1er mai 1862 et considéré par l'empereur comme un musée autonome, tandis que le surintendant aux Beaux-Arts, Nieuwerkerke (ami de la princesse Mathilde), le tenait pour l'exposition provisoire d'une collection destinée à rejoindre le musée du Louvre. Napoléon III souhaitait constituer un « musée d'art industriel », fournissant aux ouvriers les modèles de l'art antique et médiéval, afin de développer leur goût de la création. Les peintures étaient présentées dans 10 salles et le succès fut si considérable qu'on repoussa la fermeture au 31 octobre 1862. En fait, dès juin 1862, Napoléon III avait pris la décision de fermer ce musée et, en juillet, il signa un décret de réunion au Louvre, prévoyant la dispersion des doubles dans les musées de province. Une commission fut réunie pour choisir les tableaux devant rester au Louvre : 97 œuvres seulement furent retenues. Le conservateur des peintures du Louvre, Reiset, étant en effet très opposé à cette collection. Ce choix très restreint suscita une controverse et les académies des beaux-arts et des inscriptions furent chargées d'examiner ces choix. Des peintres comme Ingres et Delacroix tentèrent de préserver l'unité de ce musée et une polémique éclata dans la presse.
« Je n'ai pas besoin de constater la peine qu'ont éprouvée tous les artistes à la nouvelle des remaniements qu'on s'est proposé de faire subir au musée Napoléon III. Cette collection, célèbre dans l'Europe entière, avait été pour nous tous, dès son apparition, un sujet d'admiration... Il m'avait semblé, en particulier, qu'une partie de l'intérêt que présentait cette réunion d'objets admirables résultait de cette réunion même, et que la pensée de la réduire, sous prétexte d'en éloigner les pièces secondaires était tout à fait contraire à l'intention évidente de son fondateur et à la destination d'un véritable musée [...]. La curieuse collection de tableaux italiens, que je citerai à ce sujet, a été, à mon gré, jugée superficiellement, et, pour la plus grande partie, condamnée par des personnes qui ne se seront pas suffisamment rendu compte de son importance relative et des lumières qu'elle donne sur les origines et les progrès dans les écoles italiennes. Cette instruction, qui ne pouvait jusqu'à ce jour se trouver nulle part à Paris, résulte de la juxtaposition des tableaux et des comparaisons qui en ressortaient naturellement. En brisant leur ensemble et en les adressant à des collections diverses, on aura détruit une réunion précieuse à ce point de vue, sans enrichir notablement les collections dans lesquelles ils auront été se perdre. »
(Delacroix, lettre à Beulé, secrétaire perpétuel de l'Académie des beaux-arts, 9 novembre 1862, Journal des débats)